La serpe du Maudit

La serpe du Maudit

Le roman de Pierre Rivière

La serpe du Maudit, publié chez 3E éditions, au prix de 4,99 euros en e-book.

En 1815, depuis la chute de Napoléon, la France se cherchait, c’était la Restauration. Certes les grandes puissances européennes occupaient la majorité du pays, mais les troupes restées fidèles à Napoléon avaient bien résisté. Lyon, Metz, Laon, Longwy, Sarrelouis s’étaient battues jusqu’au bout… La résistance avait néanmoins peu à peu disparu et les troupes étrangères pillaient allègrement villes et villages.

Les régions sous la coupe des Prussiens, comme la majeure partie de la Normandie, en souffraient le plus. Là où les Anglais, les Russes et les Autrichiens étaient, le peuple vivait mieux l’occupation. De l’avis général, moins d’exactions s’y commettaient.

Les préfets ne se laissaient pas toujours faire, mais ceux qui s’opposaient aux Prussiens étaient déportés ; ainsi maires, préfets et sous-préfets soucieux de leurs concitoyens furent envoyés dans les camps de déportation de Juliers et de Magdebourg. On comptait parmi eux des hommes en vue, comme Jules Pasquier, préfet de la Sarthe, frère du ministre de la Justice. Le préfet du Loiret lui aussi, Alexandre de Talleyrand, bien que cousin du président du Conseil sera déporté.

De nouveaux préfets furent nommés. Le pouvoir fit des efforts pour trouver des modérés. Mais le peuple, que l’occupation étrangère affamait, ne supportait plus rien. Frédéric d’Houdetot, à Caen, faillit être lynché par une population excédée qui ne jurait que par le duc d’Aumont, royaliste pur et dur. Un peu partout des faits semblables se produisirent, Stanislas de Girardin fut pris à partie simplement parce qu’il avait été préfet de Napoléon durant les Cent jours.

Avec les élections nationales, les notables du pays envoyèrent des députés ultraroyalistes à la Chambre. Au sud de la France, la société secrète royaliste, les Chevaliers de la Foi, se développait. Les journaux royalistes comme La Quotidienne réclamaient la confiscation de tous les biens des bonapartistes, ainsi que ceux des républicains, accusés d’avoir voté la mort de Louis XVI. Les bonapartistes, comme les républicains, se gardaient de parler à voix haute, les ultras tenant le haut du pavé.

Le ministère Talleyrand-Fouché, centriste, tenait pourtant bon.

C’est dans ce contexte difficile, que s’ouvrit la conférence pour la paix en juillet, où les occupants débattirent du meilleur moyen de dépecer la France. C’est tout naturellement qu’Hardenberg, le Prussien, demanda Lille, Metz, Dunkerque, Mulhouse, Strasbourg, Belfort… Par chance, le tsar entendait garder une France forte. La Russie l’emporta. Les propositions étrangères devinrent plus raisonnables, mais néanmoins terribles. Outre l’occupation du nord et de l’est de la France durant cinq ans, Sarrelouis, Landau et Sarrebourg, places fortes, ne seraient plus françaises et la France devrait verser huit cents millions aux vainqueurs !

C’était tellement que Talleyrand démissionna.

Richelieu le remplaça.

Le traité sera signé le 20 septembre 1815 et ce jour-là, le duc de Richelieu pleura…

Maintenant les hommes qui dirigeaient le pays, Richelieu, petit-fils du maréchal, et Decazes redoutaient leur Chambre, tellement ultra qu’elle n’avait qu’une idée : passer par les armes tous les anciens bonapartistes, ainsi que les républicains s’il en restait.

Les ultraroyalistes aux rênes du pays, l’opposition républicaine n’avait plus comme alternative que la clandestinité. Face à la répression, une France souterraine va se construire et se mettre à comploter.

C’est le XIXe siècle, le développement des sociétés secrètes est impressionnant. Les Chevaliers de la Foi, la société des Francs régénérés, les Bandouliers et la Charbonnerie étaient les plus puissantes d’entre elles. Elles avaient des ramifications dans la France entière. La royauté ne savait plus où donner de la tête.

La Normandie, en particulier, voit les prêcheurs des Chevaliers de la Foi essayer de ramener les brebis égarées dans le giron de l’Église, tandis que la Charbonnerie fait son possible pour faire contrepoids.

Les armées étrangères quittent la Normandie, mais la laissent dévastée. Les Normands sont affamés.

C’est dans ce contexte national de turbulences que Pierre Rivière vient au monde. Son père va de ferme en ferme pour se louer. Il finit à force de dur labeur par avoir lui aussi une maison. Hélas, il a une épouse épouvantable, dépensière, elle fait des dettes dans tous les magasins de Caen, où le père de Pierre passe ensuite pour rembourser ses folies. Tout ce qu’il gagne y passe.

La mère de Pierre, femme fragile psychologiquement, n’aime pas son mari, elle fait pourtant des bébés, car elle aime la maternité. En fait, elle aime surtout être enceinte. Son fils Pierre ne l’intéresse pas, pire, elle le déteste.

De son côté, l’enfant, puis l’adolescent assiste impuissant au calvaire de son père, tant la mésentente conjugale est totale.

Sa mère passe son temps à aller pleurer auprès du juge de paix, sensible à cette petite femme qui a l’air honnête. Elle calomnie son époux, mais le juge n’y voit que du feu. Tout le village, en revanche, est du côté du père de Pierre, une pétition est signée pour lui venir en aide, avec le maire de la commune en tête.

Finalement, la mère de Pierre décide de mettre carrément son mari à la porte. Elle le renvoie chez sa mère. Elle en profite pour chasser aussi Pierre et le plus jeune de ses fils. Les enfants sont privés d’amour maternel.

Pourtant Pierre aime sa mère, il voudrait que ses parents se réconcilient, il voudrait tant que sa mère l’aime. Maintes fois Pierre va frapper à sa porte, quêtant un peu d’affection. À chaque fois, elle le repousse et le chasse à coups de bâtons. Le désespoir gagne Pierre. La maladie mentale le gagne, il commence à envisager le meurtre de sa mère.

Elle, elle continue ses achats compulsifs dans les magasins de Caen en disant : « Mon mari viendra payer. » De fait, pour ne pas être déshonoré, il passe derrière elle pour éponger ses dettes… Il paie comme le lui a ordonné le juge de paix.

Pendant ce temps, le peuple chante les chansons de Béranger.

À cette époque où les chansons de Béranger dérangeaient tellement que régulièrement il passait en procès et finissait en prison aux motifs qu’il avait outragé les bonnes mœurs, la morale religieuse et le roi, les charbonniers parisiens se réunissaient à la nuit tombée à la bibliothèque de l’Arsenal, avec le conservateur Charles Nodier et le député de Vendée Jacques Manuel.

En Normandie comme dans toute la France, les textes satiriques de Béranger connaissaient un immense succès. Ils gagnaient les provinces les plus reculées et tout le monde les reprenait en chœur en se moquant des puissants.

Béranger était aimé dans la Charbonnerie qui se multipliait dans des groupes appelés ventes.

Pierre, lui, apprend la Bible, grâce à son maître d’école. Il récite : Rends-moi justice, Éternel, car je marche dans l’intégrité. Sonde-moi, Éternel, prouve-moi, fais passer au creuset mes reins et mon cœur… Je hais l’assemblée de ceux qui font le mal, je ne m’assieds pas avec les méchants. Je lave mes mains dans l’innocence.

Pierre va se reconnaître dans le Dieu de Justice, cette justice que ni lui ni son père ne connaissent. Il demande à Dieu d’armer son bras.

Plus il lit la Bible, plus il se dit que Dieu l’a choisi pour venger son père et rétablir la justice dans sa famille. Il faut faire disparaître le monstre qu’est sa mère. C’est ça la justice. Puisque personne ne leur vient en aide, il va être le bras de l’Éternel.

Sa sœur prend parti pour sa mère, alors, comme elle, elle doit disparaître.

Pierre et son père vivent avec le petit frère de Pierre, dont la mère ne veut plus non plus. Son père et lui adorent l’enfant. Aux yeux de Pierre Rivière, dont la santé mentale a déjà chaviré, lui aussi doit disparaître, il sera l’agneau sacrifié.

Et dans le mémoire passionnant qu’il rédigera en prison, il expliquera ce fratricide ainsi : j’allais commettre le crime de parricide contre ma mère et tuer ma sœur, je serai donc guillotiné. Il fallait que mon père n’en souffre pas. Il fallait donc qu’il me déteste. En tuant mon petit frère qu’il aime par-dessus tout, j’étais sûr qu’il me détesterait.

Et le justicier Pierre Rivière va agir de manière sanglante. Parricide, fratricide, matricide… Après, pris de remords il errera à travers la campagne. Il finira par être arrêté.

Il sera jugé. Au juge, il dira : « Oui, Monsieur, une heure après mon crime, ma conscience me disait que j’avais mal agi et j’aurais pas recommencé ».

Une phrase terrible qui le fera juger responsable, malgré les nombreux témoignages qui viendront expliquer que Pierre Rivière était fou. Schizophrène.

Au procès d’assises, le 12 novembre 1835, les jurés condamnèrent Pierre Rivière à la peine de mort.

Le pourvoi en cassation fut rejeté le 15 janvier 1836.

Mais, curieusement, à peine avaient-ils décidé que Pierre Rivière méritait d’être exécuté, que dix des jurés se ravisaient et déposaient un recours en grâce auprès du roi.

Le roi accorda sa grâce le 10 février. La peine fut commuée en réclusion perpétuelle.

L’incarcération aggrava sa folie. Il se croyait mort.

Finalement, il se suicidera en prison.

En ce temps-là, on ne connaissait pas la schizophrénie. On ne concevait pas qu’un malade mental puisse être intelligent, qu’un malade mental puisse avoir des moments de lucidité.

La serpe du Maudit, publié chez 3E éditions, au prix de 4,99 euros en e-book.