Adieu Loubianka ! de Maroussia Vassanaïev est publié en e-book chez 3E éditions, au prix de 2,99 euros.
Au lendemain d’une fête organisée par Yakov Sintchouk, le directeur de l’Étincelle de Lénine, de bon matin, on frappa à la porte de six amis. C’était la Guépéou ; on venait les arrêter pour les conduire à la terrible prison de haute sécurité Loubianka.
Le roman se déroule en URSS, dans la seconde moitié du XXe siècle. Six citoyens soviétiques coulaient une vie paisible. L’un était facteur, un autre boulanger s’occupait à confectionner des blinis… Tous s’acquittaient en même temps de leur corvée au kolkhoze l’Étincelle de Lénine, la coopérative d’État.
Ces citoyens sans histoires n’y comprenaient rien. Ils étaient tous communistes, sauf un, soit par conviction, soit par habitude pour faire comme tout le monde.
Aussitôt dans leur cellule, chacun va revivre sa vie passée pour essayer de comprendre ce qui lui arrive.
Agata Vikht était communiste depuis toute petite. Son père était un instituteur militant… Du temps du tsar, se disait Agata Vikht, la ronéo de mon père, qui tirait les tracts révolutionnaires, était au fond du jardin et fonctionnait à plein régime. Agata se souvenait encore de ce jour où la police tsariste avait fouillé la maison à la recherche de documents compromettants. Ce jour-là, elle s’était réfugiée près de la ronéo. Ils n’avaient rien trouvé… Que Caterina, sa mère, était belle alors ! Elle nouait ses cheveux dorés en queue de cheval. Elle avait dansé des heures sur la place publique après la révolution… Agata Vikht avait entendu parler de la Loubianka ; quand elle était enfant, on lui disait : si tu n’es pas sage, tu finiras à la Loubianka. Oui, mais qu’y faisait-elle aujourd’hui ?
Dans la cellule d’à côté, Sergueï Starostine bouillait de colère. Il ne comprenait pas pourquoi il s’était laissé arrêter comme un mouton. Il donnait des coups de pied dans son lit de fer. Lui n’était pas communiste. C’était un ancien pope, le parti lui avait confisqué son église pour la transformer en salle de bal… Au début, Sergueï Starostine s’était révolté, après il s’était habitué, à tout, même aux bidons d’eau de vie qui jonchaient le sol de son église les lendemains de beuverie. Irina, son épouse, était croyante elle aussi, elle passait de maison en maison pour prêcher la bonne parole. Et un jour elle était morte d’épuisement. Sergueï Starostine avait eu un renouveau mystique. Il célébrait des messes dans une grange délabrée, en secret. Pas tant que ça, des communistes venaient parfois écouter ses prêches. Mais il évitait tout conflit avec le parti. Il avait creusé son nid. Il se gardait bien de critiquer leurs directives. On ne savait pas ce que devenaient ceux qui leur tenaient tête… Debout dans sa cellule, il entend dans sa tête la chanson préférée de son fils Sacha. Sacha aux cheveux très noirs, tout frisés comme ceux de sa mère. « Je suis sûr qu’il se démène pour me tirer de là. Mon Dieu ! qu’est-ce que je fais ici ? » Il y avait bien eu cette réunion intitulée « la belle éducation populaire». Là, alors que le cadre communiste affirmait : « Dieu n’existe pas, tout ça, c’est du vieux monde. » Lui avait rétorqué, « Dieu existe. » « Démontre-nous donc que ton Dieu existe, si tu le peux ? » Sergueï Starostine avait baissé la tête sans savoir quoi répondre et l’autre avait ricané.
À l’inquisiteur de la prison qui l’interrogeait tous les jours, il avait osé dire : « Pourquoi suis-je ici ? » l’inquisiteur avait répondu : « Vous êtes sous la protection du parti pour vous empêcher de faire des erreurs. »
De quoi parlait-il au juste ?
Moshé Levinovitch lui aussi était à la Loubianka. Sa vie : il était facteur le matin et l’après-midi, il donnait un coup de main à l’Étincelle de Lénine. Moshé avait été de toutes les luttes révolutionnaires. Il appartenait au peuple travailleur. Mais, il était juste une mouche, une toute petite mouche. En janvier 1919, il avait participé à l’opération de décosaquisation. Avec des camarades, il avait décapité la statue du tsar Alexandre III. Il avait brûlé les portraits de Nicolas II… Il ne comprenait rien à son incarcération. Il voulait parler à Kalinine, lui écrire au moins. Kalinine, c’était le président de toutes les Russies. Il était au-dessus de tout. Ne disait-on pas grand bien de lui dans le peuple ? Il était honnête, bon, un vrai Russe, quoi ! c’était ce qu’on disait… Sûr que lui le sortirait de là… Avant d’être enfermé comme un criminel, Moshé Levinovitch savait hausser le ton. On le considérait comme une grande gueule. Et voilà qu’ici, il sent la vie qui le quitte à petit feu. « Mon sexe est flasque, je ne suis plus un homme. J’ai jamais discuté les ordres du parti. Je ne suis pas un idéologue. Je suis juste honnête. Je veux sortir. Sortir. »
Le quatrième prisonnier, Vassili Vassanaïev avait fait la Seconde Guerre mondiale, il y avait perdu son bras gauche. Cela lui avait donné le goût du sang. Alors, il était paysan soldat comme tant d’autres. Il avait été féroce une fois revenu. Il avait tué Boris Viazemski un officier supérieur, avec d’autres c’est vrai, mais quand même… Maintenant, il était boulanger, il avait six apprentis, dont le fils du secrétaire du parti. Il faudra qu’il le dise à l’inquisiteur. Sans oublier de parler de sa fille Olga qui, à l’âge de 10 ans, avait besoin de son père, elle qui avait déjà eu plusieurs récompenses communistes. Que faisait-il en prison ? Après la révolution, il s’était assagi ; à présent qu’il menait une vie tranquille, voilà qu’il se retrouvait à la Loubianka ! Que penserait sa fille ? Il lui avait inculqué l’honnêteté. Il n’avait rien à faire en prison… La bonne odeur du pain chaud lui manquait. Ici ça puait la javel. Dans sa cellule, il s’était réveillé comme d’habitude très tôt, bien que la lucarne, qui lui servait de fenêtre, éclairait peu. Il voudrait tant être en train de pétrir sa pâte avec son unique bras valide.
Mira Saïapina, malgré son prénom de rêve, n’avait rien d’une princesse dans sa cellule de la Loubianka. Elle avait 71 ans, son métier c’était la terre. Entrée au parti à la révolution, elle était paysanne à temps plein à l’Étincelle de Lénine. Grâce à la révolution, elle avait sa maison, des volailles. Elle était déléguée syndicale, elle avait son franc-parler et savait réclamer du matériel agricole quand il devait être changé. Justement la veille de son arrestation, elle avait réclamé, mais juste pour qu’on lui trouve un nouveau manche de faux, le sien étant pourri. Pas de quoi l’emprisonner ! Maintenant ses poules qui allait les nourrir ? C’était une sacrée bosseuse, la nuit elle glanait sur les terres du kolkhoze pour pouvoir nourrir ses volailles… Elle avait beau chercher les motifs de son arrestation, elle ne trouvait rien. Son emprisonnement était incompréhensible. Elle dénoua sa longue tresse. Ses cheveux lui retombèrent sur les reins, les seins à l’air elle avait chaud de colère… Mira Saïapina avait habité Simbvisk, elle avait même assisté au baptême de Lénine. Aujourd’hui, lui mort, le parti était devenu fou. Kalinine, au secours !
Dans la prison de la Loubianka, les jours se suivaient et se ressemblaient. Et toujours cette lancinante question : Quand est-ce que ce cauchemar va s’arrêter ?… Non les journées ne se passaient pas entièrement dans la cellule, elles étaient entrecoupées par les interrogatoires du commissaire politique dans son bureau. Sûr de lui, droit dans ses bottes, baptisé au marxisme à sa naissance, élevé dès ses premiers pas dans les dogmes du parti, quand il interrogeait ses prisonniers, il n’avait aucun état d’âme. Que leur reprochait-il ? Que cherchait-il ? Pourquoi ces interrogatoires kafkaïens ?…Que deviendront les prisonniers ?
Comment toute cette affaire finira-t-elle ?
Adieu Loubianka ! de Maroussia Vassanaïev est publié en e-book chez 3E éditions, au prix de 2,99 euros.