Le Chéri magnifique – Henri Pranzini, publié chez 3E éditions, au prix de 4,99 euros en e-book et 12 euros en livre broché (426 pages).
Le criminel né – L’école italienne de criminologie : Lombroso
Au XIXe siècle, à chaque fois qu’un meurtrier était exécuté, on disséquait son corps, on prenait les mesures de son cerveau, de son visage, de ses sourcils, etc. Quand on additionnait les résultats de plusieurs dissections, ceux-ci étaient souvent contradictoires, peu importe, on en déduisit des thèses sur le criminel-né, les fameuses thèses du Dr Lombroso. Celui-ci et ses partisans estimaient pouvoir reconnaître rien qu’au premier coup d’œil un futur assassin. De préférence un type d’abruti. Les femmes disaient-ils étaient en général brunes avec de longs cheveux (c’était normal, il était en Italie). Pour Lombroso, le criminel a une capacité crânienne plus petite que celle de l’honnête homme. Or le cerveau de Henri Pranzini, dont je raconte la vie dans Le Chéri magnifique, pesait plus que le cerveau du célèbre homme politique Gambetta qui était tout petit. Les dents, le nez, la forme des mains au premier coup d’œil on devait repérer le criminel en puissance… Pour Lombroso et les criminalistes qui lui emboîtaient le pas, les criminels étaient des bêtes fauves, des plantes vénéneuses, dont il fallait se débarrasser non pas en raison de leur responsabilité, mais en raison de leur nocivité. Ils étaient des nuisibles. Platon avant eux proposait déjà d’épurer la société de ces potentiels criminels qui risquaient de la mettre en péril.
L’école anglaise de criminologie
Le Don Juan Henri Pranzini, Landru et tant d’autres contredisent ces théories. S’ils ont pu agir en toute impunité, c’est précisément parce que les gens qui les croisaient ne se doutaient de rien. Marc Dutroux, Patrice Allègre ont des physiques agréables. Rien justement ne les distingue de l’honnête homme. C’est souvent le cas pour les tueurs en série en particulier, mais aussi pour beaucoup de criminels de sang.
En réaction aux thèses italiennes, l’école anglaise s’est mise à dire que c’était la société et elle seule qui formait les criminels. L’histoire du tueur en série niortais Marseil Sabourin, dont je parle dans Le Meurtrier du mois d’août, le montre d’une certaine façon, il en va de même pour Pierre Rivière dans La Serpe du Maudit. Il est clair que pour ces deux assassins si la vie avait été différente, ils n’auraient pas tué.
L’école française de criminologie
Entre l’école italienne et l’école anglaise, une autre voie avec Ferry s’est mise à parler de populations dangereuses : les prostituées, les proxénètes, les marginaux de toutes sortes, les joueurs. Or rien que pour cette population en ce qui concerne les crimes de sang avec préméditation, on les retrouve rarement. D’autres étaient considérés sur le plan criminel comme dangereux : les oisifs, les célibataires, les mendiants, les vagabonds, les ivrognes, les saltimbanques, les chanteurs ambulants, les ignorants, les fumeurs, les femmes qui décident d’aller travailler hors de leur foyer et même les nourrices… La société devait les contrôler, sinon la délinquance ne ferait qu’augmenter.
Existe-t-il un profil psychologique du criminel ?
Au-delà de toutes ces fameuses théories qui ont fait couler beaucoup d’encre, existe-t-il un profil psychologique du criminel (j’entends par criminel, le tueur) ? Pour pouvoir donner une réponse à cette question, j’ai analysé des crimes de sang tous avec préméditation, à partir d’études que j’ai menées pour lesquelles j’ai écrit : Le Chéri magnifique, La Serpe du Maudit, Le meurtrier du mois d’août, La Séquestrée de Poitiers et j’ai étudié aussi les crimes du livre de mon mari Jeanne l’empoisonneuse, 13 crimes en Deux-Sèvres qui est inspiré par des histoires vraies, au total 17 cas.
Madeleine Miot. C’est une femme simple, modeste qui ne demande rien d’autre que de ne pas être battue. Constamment brutalisée par son mari, elle le hait. Elle va l’ébouillanter uniquement pour que les coups cessent. Elle le dira : les coups et les injures de son mari l’avaient rendue idiote. Fragile psychologiquement, elle supporte des années les maltraitances de son mari, sans oser se rebeller, sans oser s’en aller de peur de le mettre en colère. Effacée, soumise, petite personnalité, son ultime révolte sera son crime, que d’ailleurs elle n’assumera pas.
L’autre Madeleine Miot de Jeanne l’empoisonneuse, est issue d’une famille de paysans pauvres. Elle travaillera très tôt. Elle sera violée par un de ses patrons et deviendra fille-mère. Elle régularise avec un homme de 30 plus âgé qu’elle. Mais elle restera attirée par les jeunes gens de son âge et aura des amants. Finalement elle va en prendre un de 16 ans plus jeune qu’elle, elle va lui donner les économies de son mari. Il s’en aperçoit, il veut que ça s’arrête, aux yeux de Madeleine Miot, il n’y a qu’une issue : il faut tuer le mari. Mais, comme beaucoup de meurtriers, elle n’est pas très futée, elle aura des propos après la mort de son mari, qui mettra la gendarmerie sur la voie. À l’audience, elle insultera les témoins. Ce n’était pas une femme très intelligente, en revanche elle savait être persuasive pour pousser son amant à tuer son mari. Mais, une fois le crime accompli, elle perd les pédales et parle à tort et à travers. C’est une femme qui a un bel appétit sexuel et qui ne recule devant rien pour satisfaire ses désirs. Elle veut vivre avec son amant, donc le mari doit disparaître. Elle veut aussi hériter de ses biens. Elle ne sait pas se priver, elle veut tout, tout de suite. Son mari est âgé, elle pourrait attendre qu’il décède, d’autant qu’il n’est pas très regardant sur ses amants, non elle est incapable de patienter.
Pierre Rivière, toujours dans Jeanne L’empoisonneuse, lui aussi est un impulsif, violent, calculateur, manipulateur, trop du reste, c’est pourquoi il se fera prendre. Il prépare soigneusement son crime, ce qu’il n’avait pas prévu, c’est que la victime s’attendait à un mauvais coup de sa part et l’avait dit. Pierre Rivière depuis son enfance, aime tuer les animaux, les regarder mourir lentement, les voir souffrir. Il aimera regarder sa victime agonir. Il a un sang-froid impressionnant, le lendemain de son crime, il fera un coup pendable, mais il n’avouera jamais.
Jeanne Beloin, c’est une madame Bovary, elle rêve tout le temps. Elle est complètement coupée de la réalité, qui lui paraît sans intérêt. Ce manque d’accroche au réel, cette déconnexion de la réalité, sa propension à rêver en permanence, elle attend le prince charmant, font que son mari bien réel lui, ne correspond pas à ses rêves. Le luxe l’attire, l’argent. Un amant riche va arriver au bon moment pour exciter son imagination. Elle aussi se débarrassera de son encombrant mari. Elle l’empoisonnera sans le moindre scrupule.
Les femmes criminelles
Les femmes sont souvent plus courageuses que les hommes, elles savent avouer leur crime. Beaucoup de criminels, hommes, n’assument pas leurs responsabilités, même quand ils sont de toute évidence instigateurs du crime ou même directement auteurs.
Marie Bonnin dans Jeanne L’Empoisonneuse, montrera une patience, une méthode pour tuer son mari, extraordinaire. Sans montrer la moindre pitié. Une insensibilité qui laisse sans voix. Elle regardera son mari mourir dans des souffrances épouvantables, sans rien faire pour lui venir en aide. On voit que quand ces criminels ont pris la décision de tuer, rien ne les fait revenir en arrière. Rien ne les fait changer d’avis. On se dit que le divorce est un progrès, les femmes qui tuent leur mari, c’est toujours parce qu’elles n’ont pas le courage de divorcer. Elles sont souvent lâches envers autrui et en même temps complètement blindées à la souffrance des autres. Les criminels de sang sont souvent des égoïstes incroyablement égocentriques.
Les couples criminels
Les couples criminels comme Marie Bonnin et Joseph Courtin, deux amants maudits de Jeanne L’empoisonneuse, passionnés, s’aiment d’un amour destructeur. Ils tuent plutôt que d’être séparés. Ils ont trouvé dans l’amour-passion la compensation à tous les échecs de leur vie, c’est la double ambivalence : leur amour est salvateur et aussi destructeur. Marie Bonnin méprise son mari, il lui est totalement étranger. C’est pourtant un homme bien, il est bon envers elle, il éduque l’enfant de son amant, comme si c’était le sien. Certes son amant la harcèle pour qu’elle se débarrasse de son mari, c’est lui qui lui procurera l’arsenic, mais elle le tuera sans regret, sans compassion. Comme beaucoup d’empoisonneurs, ils tuent lentement, sans aucune pitié. Marie Bonnin va empoisonner avec obstination, sans jamais fléchir durant les 11 jours où elle va administrer le poison. Elle n’est pas seulement sous la coupe de son amant. Elle tue par plaisir. Et à ce moment-là, elle est seule. Et c’est une caractéristique de l’assassin, c’est un solitaire, même quand il a un complice, il est responsable de ses actes.
Le couple Lamy et Drouet, c’est pareil, ils s’aiment passionnément. L’obstacle à leur amour, c’est encore et toujours l’affreux mari. Eh bien, on va le tuer. Ils sont à la fois, impulsifs et patients. Impulsifs, ils n’ont qu’une idée : être ensemble. Ils ne pensent qu’à ça. Eux aussi pourraient divorcer. Ce serait plus simple, plus logique. Mais le criminel a sa logique propre, qui n’est pas celle de l’honnête homme. Les amants maudits vivent un amour ravageur. Dans Jeanne L’empoisonneuse, 13 crimes en Deux-Sèvres, on voit comment Ernestine Drouet essaie mille et une façons d’empoisonner son mari.
Les mobiles du crime
On tue pour tous les motifs, et la cupidité en est un. Pour ne pas perdre de l’argent, un homme ou une femme dont la cupidité domine sera capable du pire, même de tuer un enfant. C’est le cas de René Charon. Il tuera son beau-fils pour une poignée de francs. Lui aussi n’avouera jamais, la franchise n’est pas son fort. Il n’assumera pas son acte. Il en va de même pour Coelorum, qui aurait pu ne pas tuer, il envie la clientèle de son cousin, mais est-ce suffisant pour tuer ? Non, quand on étudie le comportement des criminels de sang, on s’aperçoit que derrière l’appât du gain, il y a d’autres motifs et la haine est le plus souvent en filigrane : haine de la société dans laquelle ils vivent, haine de leur milieu social dans lequel ils estiment qu’ils ne sont pas à leur juste place. Les cupides agacent les jurés et on leur accorde rarement des circonstances atténuantes. Dans l’affaire du crime de Breloux, les jurés ont délibéré 40 minutes avant de lui donner la peine maximale.
Eh puis, il y a ceux qui commencent dès leur plus jeune âge. Giraudeau est de ceux-là. Il martyrise les petits animaux, commet des vols. Il fait peur à tous les autres enfants, tant sa cruauté est grande. Adulte, il tuera lui aussi sans pitié un vieillard pour des raisons incroyables. Et ses parents, qui sont de bons parents, n’y peuvent rien. Ils font tout pour l’éduquer, lui apprendre le bien et le mal, rien n’y fait. Leur fils deviendra un fainéant qui ne recherchera que l’argent facile, ne supportant pas les contraintes. : lui aussi veut tout et tout de suite. Il ne supporte pas les privations. Il aime les plaisirs et il lui faut de l’argent pour en avoir. Il l’obtiendra au prix du sang. Il ne connaîtra pas le remords. On peut dire qu’il devait tourner mal, on n’est pas surpris qu’il devienne un criminel.
Clément Boudié a des points communs avec lui : dès son enfance, il donne des signes de délinquance. Il est cruel, bagarreur. Curieusement durant son temps à l’armée, il ne fera pas de bêtises. Avec le retour à la vie civile, il recommencera. Il sera violent avec sa femme. Il tuera d’une manière terrible. Henri Pranzini lui aussi se tiendra tranquille à l’Armée, comme si la discipline, l’encadrement, le préservaient de la criminalité.
Le tueur avec préméditation
Pour résumer, il y a bien un profil psychologique du criminel qui tue avec préméditation :
C’est d’abord, un calculateur et souvent un manipulateur. Très égoïste, il est seul au monde et méconnaît ou oublie la pensée d’autrui. Il ignore la pitié, il peut même prendre un plaisir sadique à voir sa victime souffrir, auquel cas du reste, il récidive. Dans son enfance, il prend plaisir à faire souffrir les animaux ou ses petits camarades. Il est souvent violent, batailleur, adulte encore. Ou il réprime une grande violence en lui, c’est le cas des empoisonneurs.
Il a un grand mépris non seulement pour sa victime, mais du genre humain, dans lequel il ne se reconnaît pas ou dont il sent supérieur. Il est fréquemment insensible à sa propre souffrance. En apparence d’un grand sang-froid… Plusieurs criminels jeunes sont montés à l’échafaud en crânant. Marseil Sabourin dans Le Meurtrier du Mois d’août, après avoir entendu l’énoncé du verdict a félicité son avocat de l’avoir défendu, Landru en a fait autant. On dirait que ce n’est pas leur sort qui vient de se jouer. Durant leur procès, beaucoup d’assassins sont très calmes, ne trahissant aucune émotion. Dutroux en arrive même à dormir…
Dans 80 % des cas, le tueur a un amour effréné des plaisirs, il ne sait pas résister à ses pulsions. Il convoite le luxe et le bien d’autrui et se montre dès qu’il a de l’argent dépensier. L’envie est un de ses caractères dominants.
Pour l’assassin, tuer lui donne un soulagement, souvent de courte durée, c’est l’éclatement d’une pulsion en particulier pour les sadiques.
Parfois intelligent, mais plus souvent rusé, il est d’une insensibilité morale complète, c’est un signe du reste de dangerosité pour une société.
Le futur assassin ne peut s’adapter à la société ou au moins à son milieu, et il se met à le haïr. Il a une détermination farouche, impitoyable… Il ressent une humiliation, ne s’estimant pas à sa juste place, il a accumulé les rancœurs qui éclatent au moment du meurtre. Parfois il donne l’apparence d’être adapté à son milieu, mais après le crime, quand on gratte un peu dans son histoire, on s’aperçoit qu’il n’en est rien… Il éprouve souvent un complexe d’infériorité, il va décider en tuant de désormais tenir le rôle vedette dans sa propre vie. En tuant, il prend une revanche.
Le criminel reste souvent un adolescent attardé, il arrive à se faire prendre pour des stupidités, alors que par ailleurs il s’était montré brillant. Qu’on pense à Landru qui prenait toujours deux billets aller, et un seul billet de retour. Fatalement, il devait finir par se faire prendre. Comme un enfant, il ne sait rien se refuser.
Le sentiment de toute-puissance
Il est dénué de scrupules et souvent vaniteux, beaucoup se font prendre pour cette raison. Le tueur veut exercer son pouvoir sur la vie de ses semblables et il ne voit qu’un moyen le crime. Carlos n’a aucun remords. Il considère lui-même qu’il a tué près de 1 500 personnes avec ses attentats, dont 10° selon lui étaient des innocents, mais il ne condamne pas ces attentats, il s’étonnera même et dira : Pourquoi condamner ? Il y a une absence de regret pour l’acte, une absence de compassion pour les victimes et leurs familles. Sauf pour le crime passionnel sous forme de pulsion. Marcel Sabourin dans Le Meurtrier du mois d’août montrera du repentir et pleurera en avouant son dernier crime.
Il a un sentiment de toute-puissance, une exaltation avant le meurtre qui ne peut qu’aboutir au crime. S’ils sont, pour certains aventuriers, c’est le cas notamment de Henri Pranzini, qui n’aura pas peur de prendre des risques, les tueurs d’enfants en revanche se caractérisent par leur lâcheté.
Les tueurs en série
Toutes ces caractéristiques font que, dans le cas des tueurs en série, il y a toujours un proche qui sait. Mais qui se tait et c’est cela qui est terrible pour les familles des victimes, qui se disent que si ce proche était intervenu, des crimes auraient pu être évités.
La religion et les criminels
Sainte Thérèse de Lisieux engagea sa vocation sur Henri Pranzini, elle pria qu’elle entrerait dans les ordres si le grand criminel se convertissait. Au dernier moment, il embrassa le crucifix.
Le Chéri magnifique – Henri Pranzini, de Viviane Janouin-Benanti, publié chez 3E éditions, au prix de 4,99 euros en e-book et 12 euros en livre broché (426 pages).